Egypte #9, Les chèvres de Dahab


J’ai quitté les rochers multicolores de Ras Sheitan pour rejoindre La Petite Oasis, une belle ferme bio qui se développe à Dahab, et renouer avec
une partie de mon mois de juillet dernier… Au programme : traire les chèvres, donner à manger à tout ce qui mange : poules, canards, canetons, chèvres, chevreaux, ânes et même un petit singe, et arroser tout ce qui pousse : aubergines, tomates, bananiers, brocoli, carottes, ognons, ail, roquette, laitues, moutarde, goyaviers, céleri, persil, aneth, fenugrec, moringas, basilic, figuiers, maïs, choux rouges, menthe, tomates-cerises, oliviers, poivrons, radis, betteraves, consoude, citronnelle, orangers, épinards, blette, bébés fruits de la passion, grenadiers, patates, potirons… je suis sûr que j’en oublie beaucoup… Et je donne aussi des cours de CP à l’un des charmants bambins qui peuplent ce poumon vert.

La hutte dans laquelle je dors est construite sur pilotis au-dessus de l’enclos de Basile, le singe, dont je ne connais pas précisément l’espèce mais qui doit pouvoir se trouver sans trop de difficulté sur internet avec les mots-clés suivants : dos jaune fluo, boules bleues, bite rouge. Basile, arc-en-ciel anatomique comme j’en ai rarement côtoyés, se nourrit d’une banane et d’une orange par repas, qu’il refuse souvent tant qu’on n’a pas pris soin de les lui peler. Son comportement se résume pendant l’épluchure à de fébriles valdinguements entre ses branches et son grillage ; lorsqu’enfin les fruits sont prêts il passe nerveusement ses petites mains noires entre les mailles et s’en saisit aussi vite qu’il le peut, la banane entre les dents (qu’il a pointues) et les quartiers d’orange plein les bras, aussi avide qu’un candidat de Fort Boyard en fin d’émission.
Mais en-dehors des repas il est plutôt affable, si bien qu’Aaron, le volontaire italien, commence parfois la matinée par un petit air de ukulélé dans l’enclos de Basile, et qu’aux heures chaudes il m’est arrivé d’aller y bouquiner à l’ombre. Basile est troublant. Quand on s’approche de son enclos, il s’approche et s’accroche au grillage, renverse la tête comme une actrice de charme en plein shooting photo, puis la relève et te regarde longuement, et son regard, l’éclat de son regard, les nuances d’expression conférés par le mouvement de ses sourcils, tout nous est familier, similaire. Et si c’était des yeux humains on comprendrait qu’ils disent : « Y a pas grand-chose à faire, ces temps-ci… Des fois je me demande si la vie a vraiment un sens. Enfin vaut mieux ne pas se poser ce genre de questions. Je te laisse, je vais regarder si y a pas quelques graines qui trainent dans l’enclos. » J’aurais aimé pouvoir discuter avec lui.

Bref, c’est vrai que c’est une vision étrange au réveil, quand en finissant de descendre l’escalier on voit coup sur coup Aaron dans la cage et son ukulélé bleu, Basile dans la cage, testiculairement assorti. Un peu l’effet « où suis-je tombé ? » que donne une chanson de Brigitte Fontaine. Et puis on constate vite que les mamelles des chèvres sont aussi douces qu’à l’ordinaire et qu’en fin de compte c’est une journée normale qui commence.

Les chèvres, parlons-en. Parlons de l’une des plus jeunes, Biquette… Toute menue, blanche et beige avec presque des reflets roses, elle devient folle furieuse à l’approche des repas. Elle plie les grillages, elle fait sauter les mailles, elle défonce les cloisons trop faibles. Son motif ? la paille. Et plus la paille est sèche, mieux c’est. Elle passe à la traite en premier (on leur fait manger de bonnes choses pendant la traite) et revient à la charge au moins deux fois par la suite, se faufilant, jouant du front pour griller le tour de Jane ou Marylou. (Marylou c’est une chèvre syrienne. Elle a un long museau brun prognathe et elle vous regarde par en-dessous. Comme un air de tueuse en série. Mais avec les mamelles les plus faciles à traire du monde.) Non, ce qui sauve Biquette, c’est qu’elle est la jeune maman de la petite Rosie, la chevrette la plus mignonne que le Sinaï ait porté.

Les enfants de la ferme sont des enfants normaux ; le petit, Louis, me fait un peu penser à Calvin et Hobbes. Quand il n’arrive pas à obtenir quelque chose, il tape du pied, se roule par terre et claque les portes en sanglotant et en hurlant « I will kill myself ».


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Le vendredi, c’est jour de marché. On vend du houmous maison, du chèvre frais, des tomates séchées, des carottes, de la blette, de jolis petits ognons, quelques betteraves et aubergines, ici quelques poivrons… Les sacs de salade composée s’arrachent. On partage la table avec Sandro, qui vend son excellent pesto… et avec un peu de chance au moment de remballer on pourra aussi taper dans les invendus du stand de gâteaux d’à côté… leur tiramisu… leur croisement de cheesecake et de tarte au citron aaah

Bref, on a assez d’occupations pour ne pas avoir à supporter les frasques de Gary. Gary n’aurait pas dû fuguer si régulièrement à l’heure du diner des poules ces derniers temps. Gary c’est le plus jeune des coqs. La menace planait depuis quelque temps et un jour, en ouvrant le frigo pour ajouter le produit de la traite du soir au bidon de lait, j’ai repéré sur l’étagère du bas un récipient non identifié doté d’un couvercle. J’ai déplacé le couvercle et oh, Gary… t’es déjà tout plumé, tout découpé. En même temps sur la fin t’étais un peu chiant, Gary.

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Basile, Gary, Biquette, la petite Rosie, Marylou… sans compter les beaux crapauds dalleux qui chantent entre les papyrus de la piscine (bio bien sûr ; ci-dessus)… et je ne vous ai pas raconté l’histoire de Shakira, la femelle inséparable qui a tué son mari… je le ferai de vive voix.

(PS : J’ai quitté la ferme mi-mai ! Ce blog n’a jamais été aussi proche d’être à jour !)

 

6 réflexions sur « Egypte #9, Les chèvres de Dahab »

  1. Haha, j’adore le « I will kill myself », très calvinesque en effet….tu as dû apprécier 😉 C »est chouette de te lire, Olivier, désolée de pas l’avoir dit avant…pas encore pris l’habitude de venir glaner les nouvelles, c’est maman qui me transmet dès qu’il y a un nouveau billet, mais quel régal. Certains sont particulièrement beaux….d’autres comiques. Tu dois te régaler à Assouan, sauf peut-être pour les 47. bisous!

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  2. Dommage que Basile et toi n’ayez pu discuter, je suis certaine que vous vous seriez forts entendus.
    Ça devait faire un bruit d’enfer tous ces animaux, non ?
    Bravo pour la mise à jour du blog en tout cas !!

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    1. En dehors des repas ils se tenaient plutôt à carreau ! Y avait juste un peu de fight entre Basile et un des chiens, de temps en temps. Non, le plus bruyant c’était vraiment les enfants !

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