Weekend kosovar

Oh p’tit-bout-d’chou ! c’est le petit dernier de Hugh et Slavie.

Vendredi 18 mars, conformément aux prévisions météo, un grand ciel bleu s’est déployé au-dessus de Skopje. Anika m’a dit qu’elle était chaude pour faire les nuits de réception du weekend et je suis donc parti sac au dos dans la douceur printanière. Ensuite je suis revenu, parce que j’avais oublié mon sac de couchage, mais ce fut l’histoire de cinq minutes, vraiment juste pour coller à ma réputation de tête-en-l’air ; vers treize heures, j’étais en périphérie de Skopje, tout sourire et pouce levé.

gadime

Après avoir stoppé jusqu’à la grotte de Gadime et lui avoir caressé le bout des stalactites, j’ai pris la route de Peja, dans l’ouest du pays. Des gens descendent les bretelles jusqu’aux épiceries en marge des stations-essence, traversent la chaussée pour finir leurs courses dans le magasin d’en face : l’autoroute ressemble à une quatre-voies affable, ce qui arrange bien mes velléités de stop. J’atteins Peja à la nuit tombée, après des sauts de puce de quinze kilomètres avec d’innombrables sympathiques conducteurs souvent germanophones.

Se pose alors l’épineuse et récurrente question : où dormir ? errer dans les rues animées ne m’apporte pas de réponse ; j’hésite sur le seuil d’hôtels qui ont l’air trop luxueux pour moi, je marche au hasard en quête d’un terrain vague tranquille où planter la tente, ou d’une ruine où se calfeutrer pour la nuit… Il n’est pas rare d’en longer, mais je me dis, et les chiens ? je me dis, et les rats ? je me dis surtout que le dos c’est précieux et ça supporte mal de s’étaler sur des décombres de pierre et de poutres. Finalement, vers 21h, j’ai pris la route des montagnes, puisque c’est après tout pour ça que je venais à Peja : la vallée de la Rugova et les montagnes du bout du Kosovo. Au bout de la ville, à l’arrière d’une office du tourisme, je monte la tente et je somnole jusqu’au petit matin, les pieds tout froids.

rugova roadLa route après Peja file au fond de jolies gorges. J’ai acheté des pommes et j’en ai mangé une pour le petit-déjeuner, la montagne est belle et quand on marche on ne sent pas le froid. La rivière tonitrue en contrebas, assimile un torrent, se gratte le ventre sur les cailloux et repart de plus belle ; sur un banc de galets au loin je commence à apercevoir des banderoles, des planches, des tentures. C’est le petit bout de pays de Mithat. Mithat c’est ce type sur l’ilot qui répond à mon signe de la main et qui à son tour me fait signe de venir, de passer sur ses multiples ponts de singe et de venir. Il est 8h30 et c’est l’heure du café. On est samedi, il profite du début du weekend au milieu de son énorme débarras en cours d’aménagement. La semaine, il travaille à l’hôpital, où il assiste un stomatologue (petite dédicace à mes dents de sagesse restées sur Paris !) ; il rejoint la vallée après le boulot et les weekends, et l’ilot s’aménage tranquillement, au gré de son inspiration et de celle des visiteurs. Le mot d’ordre est : relax. Après le café, il va chercher son ballon de basket et on fait quelques paniers. Puis il vaque à ses occupations et je pars en amont de l’ilot écouter la rivière.

Les böreks aux épinards, c’est pour vous en mettre en appétit pour les paragraphes suivants.

Il est 9h quand je quitte Mithat, pour m’aventurer un peu plus dans la montagne ; lentement la neige gagne sur la route, les hauts sommets apparaissent… De ce côté-ci il y a le Monténégro, de ce côté-là ce doit être l’Albanie… l’hiver tous les pays sont blancs.

Le conducteur qui me prend en stop au retour a environ mon âge, il étudie le droit à Peja et me raconte ses souvenirs d’enfant de la guerre, l’exode vers l’Albanie et le Monténégro à travers les montagnes en février. Le Kosovo, c’est un bout de territoire dont Serbes et Albanais estiment être les occupants légitimes et exclusifs. Quand Milošević a réduit l’autonomie du Kosovo en 1989, la majorité de la population, de culture albanaise, s’est révoltée, pacifiquement puis en usant des armes. Ensuite : exactions, conflit ouvert, exode… Maintenant que le Kosovo a acquis son indépendance, chacun a son avis quant à l’hypothèse d’un rattachement à l’Albanie mais le sentiment d’appartenance semble pour la plupart plus culturel que politique.

Classique carte postale prizrenie.

Je finis par retourner sur Peja et mettre le cap sur Prizren, dont mes conducteurs kosovars, comme d’ailleurs beaucoup de voyageurs faisant halte à Skopje, m’ont fait l’éloge. Le stop fonctionne très bien, je n’ai pas le temps de finir ma deuxième pomme que la route continue… Il faut dire que je n’ai pas beaucoup mangé dans ces vingt-quatre premières heures au Kosovo, parce que c’est comme ça, quand je suis sur la route je ne mange pas grand-chose, il n’y a pas d’odeurs de boulangerie pour me détourner de mes autres enthousiasmes. Alors de l’eau et puis une pomme par-ci, par-là. J’apprendrai en revenant que ce jour-là, à Skopje, Anika flânant dans le centre-ville a avalé coup sur coup une assiette de viande grillée, des chocolats et des crèmes glacées. Sans nul doute un nouvelle démonstration de l’équilibre secret régissant le monde.

prizren sharr
Vue sur un sommet des Sharr depuis la forteresse de Prizren.

Je n’ai pas compris pourquoi le patrimoine de Prizren semble avoir été si épargné pendant la guerre ; l’un de mes conducteurs m’a dit que l’OTAN était intervenu dans le conflit alors que la destruction de Prizren était planifiée par les Serbes, et qu’ils avaient manqué de temps. On se balade dans la vieille ville au fil des mosquées ottomanes, des églises, dans l’ombre de la forteresse d’origine byzantine, bon, je ne suis pas un guide de voyage. Je me contenterai de dire que les böreks aux épinards, c’est vachement bon.

Le lendemain matin, après une nuit passée en auberge de jeunesse à dormir comme un rocher, je suis facilement sorti du centre-ville et j’ai continué les sauts de puce le long de la chaine des Sharr, où les gens viennent skier le dimanche… puis je redescends vers la frontière… le weekend s’achève, ce fut une bonne remise en jambes en vue des semaines sur les routes turques (à moins que la troisième guerre mondiale n’y arrive avant moi ?) !

Screenshot - 03212016 - 11:45:56 AM

Les notes de bas de page reviennent à la guitare de Petrit Çeku, qui se produisait en ville le soir suivant mon départ.

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